Gilets jaunes : acte IV
- Titouan Chapu
- 9 déc. 2018
- 4 min de lecture
Après les manifestations du 24 octobre et du 1 décembre, les gilets jaunes étaient réunis à Paris pour le 4° acte de leur mobilisation. Malgré les alertes du gouvernement quant à la présence d'éventuels manifestants armés, la capitale était le lieu de nombreux affrontements entre manifestants et forces de l'ordre: récit d'un après-midi de colère et de violence.
Vouloir rejoindre les Champs-Elysées en métro, c'est d'abord essayer d'éviter les stations fermées par la préfecture et essuyer plusieurs barrages de police bouclant l'accès aux routes environnant l'Arc de Triomphe. "Tu n'as pas de masques à gaz ?", demande un CRS. Non, juste mon appareil photo, tout va bien. Dès lors, nous entrons dans une ville morte et vide. Les vitrines sont recouvertes par des plaques en bois, les magasins sont fermés, les voitures semblent avoir déserté cette partie du centre historique. Quelques grappes de gilets jaunes convergent lentement vers la place Charles de Gaulle. L'ambiance est bizarre. Une centaine de mètre plus loin, nous apercevons une première carcasse de scooter incendié gisant en plein milieu de la route. Au loin, nous entendons des cris, puis des tirs qui résonnent sur les bâtiments haussmanniens.

Mais comment rejoindre les Champs, haut lieu de la manifestation ce samedi ? Les CRS bloquent tout accès à l'Arc de Triomphe, sans doute pour éviter des nouvelles dégradations près de la tombe du soldat inconnu ainsi que dans le musée encore ravagé par le passage des casseurs de la semaine dernière. Pour rejoindre les manifestants, il faut emprunter les rues adjacentes et descendre plusieurs centaines de mètres jusqu'au rond point des Champs-Elysées. Nous regardons l'évolution de la situation sur le fil d'actualité du Parisien. Contourner l'Arc par le nord, ça serait emprunter l'avenue de Friedland où des barricades sont dressées et où des casseurs affrontent les forces de l'ordre. Le contourner par le sud, ce sont des pavés arrachés et des voitures en feu qui nous attendent. Nous choisissons le nord.
Au fur et à mesure que nous avançons, la masse de gilets jaunes augmente. Au détour d'une ruelle, un groupe de CRS est pris pour cible par des casseurs balançant bouteilles, pavés et mobilier urbain. Une fusée d'artifice explose sur le trottoir d'en face. Les policiers chargent et dispersent sans grande difficultés les manifestants. S'ensuit alors un véritable jeu du chat de et de la souris. Là où les policiers sont présents, les gilets jaunes affluent. Dès qu'un petit groupe de manifestants se forme, une bombe lacrymogène est lancée pour éviter la formation d'un rassemblement violent et incontrôlable. Les affrontements sont rapides et mobiles. Nous nous écartons alors des lieux de batailles pour contempler les dégâts dans l'avenue de Friedland. Vitrines brisés, magasins pillés. Des carcasses de voitures sont en cendres et des barricades faîtes de trottinettes, vélibs, et de grilles hébergent encore quelques flammes. Plus loin, un groupe de gilets jaunes s'accroupit près d'un manifestant tandis que les pompiers éteignent les dernières braises. Frappé par un tir de flash-ball, celui ci est évacué par une ambulance, tandis qu'un autre, touché à la jambe témoigne au micro de France Info. Face à la ligne de policiers qui s'est formée en contrebas, un manifestant se dresse et les encourage à baisser leurs armes. Seul contre tous, jaune contre noir, l'image de ce dialogue de sourd est saisissante.

Vers 16 heures, nous arrivons enfin sur les Champs. L'ambiance y est bon enfant, un speaker se met au défi de crier "Macron Président !" dans un mégaphone. Il récolte des sifflet et des rires. Ramassant une balle de flash-ball, un autre manifestant se dirige vers les policiers: "Il faut bien leur rendre ce qu'ils m'ont donné", ironise t-il. Mais la situation ne tarde pas à se tendre. Se regroupant vers un groupe de CRS, des gilets jaunes mêlés à des casseurs couverts de noir lâchent des insultes et jettent des bouteilles de verre, des pierre, des grilles. Quelques mètres plus loin, des casseurs s'évertuent à détacher un par un les pavés de l'avenue. Un jeune homme lance maladroitement un pétard qui ricoche contre une colonne d'affichage et finit sa course au pied des journalistes massés sur le côté. Cinq minutes plus tard, les CRS jettent des gaz lacrymogènes. Le vent dissipe rapidement la fumée et les injures reprennent de plus belle. La foule scande en cœur "Macron démission !". Certains essayent de s'en prendre aux magasins environnants. Les policiers répliquent avec une nouvelle salve de grenades. Cette fois ci, pas de chance, les lacrimos éclatent près de nous. La gorge et les yeux brûlants, les manifestants suffoquent et se mettent à courir. Sur les trottoirs, on s'échange des bouteilles d'eau pour rincer les yeux rougis par les gaz.

Quelques instants plus tard, les cris, les jets de projectiles, les tirs et les grenades se remettent à pleuvoir . Ce ballet incessant se répète inlassablement et les manifestants se font à chaque fois plus nombreux et plus violents. Mais les champs de vident peu à peu des gilets jaunes, au profit des casseurs prêt à en découdre avec les policiers. A 17h00, les illuminations de Noël illuminent les arbres de l'avenue caché sous des nuées de gaz lacrymogènes. Il est temps pour nous de partir. Slalomant dans la nuit déjà tombée, entre les voitures calcinées, entre les pavés arrachés, nous rejoignons sans difficulté la ligne 1 du métro où les manifestants s'y font plus rares, laissant place à d'autres gilets jaunes, ceux de la mairie de Paris en charge de nettoyer la capitale.

Malgré des heurts violents entre manifestants et forces de l'ordre, la manifestation a pourtant semblée moins tendue que la semaine précédente. Certains gilets jaunes, cautionnant les casses et les pillages ont même rejoint la marche mondiale pour le climat place de la République en scandant: "Fin du monde, fin du mois, même combat !". Ainsi, avec une centaine de blessés et plus de mille interpellations dans toute la France, la mobilisation semble ne pas vouloir en finir en dépit de l'annonce du gouvernement de suspendre la taxe carbone pour six mois.
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